La der ?
Deux ans déjà que le Verdon m’a englouti, malaxé et rejeté. Si aujourd’hui les blessures se sont refermées, ma relation et mon regard sur la course à pied ont profondément changé. Sans aucun jeu de mots, j’ai pris de la distance. Je n’avais d’ailleurs programmé aucune course pour cette année 2010.
C’était sans compter sur l’imagination de Christian Pociello (alias le Poc), qui venait de nous glisser sous les yeux, la course que Jean-Philippe et moi attendions tant.
Depuis que nous promenons nos sacs et guêtres sur différents formats, nous espérions une telle épreuve :
24 heures en duo, en quasi autonomie pour relier un point A à un point B en ramassant le maximum de balises.
La distance est estimée à 110 km et le dénivelé à 2500m.
Cerise sur la gâteau, l’arrière pays montpelliérain sera un décor magnifique pour cette ultime balade.
J’ai préparé cette course comme une dernière, un jubilé avec mon binôme de toujours et entouré de quelques amis. Une dernière course avec ses contraintes de préparation, de timing, et cette dose de toujours plus qui nous fait avancer parfois trop loin.
Nous avons donc maintenu une activité hivernale soutenue et forcée en enchaînant Mégal’O nigth, Noct’Orientation, raid normand, COAHU et un dernier Gruchet Lavalasse mémorable comme répétition générale. Il ne me manquait que le raid28 et son fameux RER.
(Pour la petite histoire, toutes ces courses ont été parcourues sous la pluie, dans le froid, et fort heureusement dans la bonne humeur. Il fallait peut-être y voir un signe du destin ?)
C’est sur le site du vol à voile de St Martin de Londres, au pied du pic Saint Lou, que nous allons installer notre campement pour le WE du 1er Mai. A défaut de Muguet, c’est la saison de la balise dans la région et notre route en sera parsemée.
Toutes ces années nous aurons au moins appris à soigner le confort et aujourd’hui nous capitalisons cette expérience en optant pour une version grand luxe. (Tente spacieuse, auvent pour les chaussures, matelas moelleux, couettes, oreillers, table, chaises, réchaud, cafetière … Tout y est ou presque )
Demain, vers 4 heures, nous partirons pour l’aventure, nous savons que cette courte nuit est importante pour nos vieux organismes.
Apres un petit déjeuner frugal, nous prenons place dans le sas de départ, une carte chacun à la main. Elle est au 30000ème, dessinée pour l’occasion, et complétée avec beaucoup de minutie.
Tout le monde découvre le terrain de jeu et scrute les difficultés qui nous attendent. Un premier constat s’impose, il faudra être précis dans l’orientation où 1 millimètre sur la carte représente 30 mètres sur le terrain. Je vous laisse imaginer la recherche de peinture au sol dans un rayon de 30 mètres sans un minimum de rigueur.
3 PC sont identifiés, où l’on pourra y faire le plein d’eau, mais aussi y être éliminé si l’on dépasse les barrières horaires.
Pas de report de balises, ou de prologue. Ce sera un départ en masse. La distance et la qualité de l’orientation feront la sélection au fil du temps. Nous chercherons des éléments (un rocher, un arbre, une antenne, …) où une croix orange y sera peinte.
Pour prouver notre passage, il faudra la photographier avec l’un des binômes et noter le nombre de points dessinés à coté de cette croix.
Christian, lors du briefing, nous prévient que cette course est difficile, qu’il ne sera pas possible de trouver toutes les balises et qu’il faut se préparer à un long voyage intérieur.
Bonne route !
Le départ est donné. Je n’éprouve aucune excitation particulière, juste la satisfaction d’être là. Je savoure cette chance. Les parfums de romarin, et autres plantes aromatiques m’enivrent. Déjà les frontales s’étirent, se dispersent devant cette entendue qui s’ouvre à nous.
C’est tout simplement génial d’être là, en quête de La trace idéale, un réel bonheur !!
Jean-Philippe et moi n’avons pas élaboré de stratégie particulière. Fidèles à nos habitudes, nous tenterons de tout ramasser jusqu’à plus soif. Nous ferons un point à l’approche de la première barrière horaire, et nous aviserons.
Depuis le temps, nous savons que nous sommes capables du meilleur comme du pire, et savons réagir jusqu’à se faire violence, pour franchir les moments difficiles.
11h00 - Le roc blanc est notre premier juge, il matérialise une première barrière horaire.
Nous y arrivons en forme, avec toutes les balises. Quelques unes ont été mémorables comme le pied de la vierge qui nous narguait la vue depuis longtemps, ou encore le muret dissimulé dans la végétation (belle séance de jardinage)
J’en profite pour me restaurer et déguster un sublime sandwich au pâté maison assaisonné à point (un vrai délice). C’est surtout une façon d’apprivoiser mes craintes avant de m’élancer sur ce premier passage aérien qui s’ouvre à nos pieds.
Le visuel est impressionnant, et les bénévoles tentent bien de me rassurer en me certifiant que le passage est bien plus large qu’il n’y paraît entre ces deux abrupts.
Accaparé et surtout concentré à ne pas mettre les pieds n’importe où, j’en oublie la lecture de carte et rate une première balise.
La navigation sur cette crête est laborieuse, je perds mes repères et nous dévions de notre route. A cet instant, je regrette amèrement d’avoir opté pour une tenue estivale (short, tee-shirt manches courte, pas de guêtres). La végétation me lacère les jambes et les bras.
Au profit d’une descente, nous reprenons enfin une progression normale. Une pluie fine et rafraîchissante s’invite alors, puis devient vite pénétrante jusqu’à nous tremper jusqu’aux os.
Cette météo nous ralentit. Le sol devient glissant et entame un peu notre moral. Un sentiment de « ras le bol » nous envahit !! Y en a marre !! Encore une course sous la flotte !!
Ne pas gamberger. Vite se reprendre. Mettre à profit chaque partie plate pour recourir, se relancer.
Nous courbons l’échine mais continuons à avancer, prudemment encapuchonnés. Nous n’abandonnerons que deux ou trois balises par manque de concentration, de temps et d’envie de revenir sur nos pas
Je reviens progressivement dans la carte, Jean-Philippe progresse à quelques mètres devant moi. Comme toujours, il est mes yeux, ma relation entre la réalité et la carte.
Bientôt 10 ans que notre binôme fonctionne ainsi. Au début, je devais gérer un chien fou, prêt à visiter chaque pierre, chaque arbre …
Aujourd’hui, notre complicité est une évidence. Inutile de se parler, de s’expliquer, on sait désormais ce que chacun attend de l’autre et peut apporter selon les périodes plus ou moins difficiles que l’on traverse. Nous sommes une équipe.
Le déluge s’est enfin calmé, notre chasse à la balise peut reprendre pleinement. Nous pointons à nouveau tout ce qui se présente à nous. Les knockand’O sont relancés et dévalent à nouveau les sentiers comme deux gosses.
Nous « ramassons » quelques équipes, discutons avec des randonneurs et autres spéléologues. Nous profitons de chaque instant. Quel pied !! Au risque de me répéter, c’est un vrai de bonheur de cavaler autant à ce moment de la journée, et de profiter de ce que Christian nous a offert.
Nous fonçons vers le PC 2, le Mont Sainte Baudille où nous attendent nos supporters.
18h30 - Il nous manque 4 balises (je crois), mais nous sommes surtout satisfaits de notre gestion de course et de notre état de fraîcheur. Peut-être un peu trop euphoriques ?
Nous venons de nous offrir quelques régals sur les 3 précédentes balises. Un dolmen, un rocher planté entre deux avens profonds, et petit aller-retour au bout d’un sentier pour y découvrir un point de vue fabuleux (si le ciel avait été moins chargé).
La prochaine étape est le PC3. Nous décidons de privilégier la progression et de ne pas perdre de temps sur les balises. Une fois ce dernier PC franchi, le final devrait nous donner plus d’opportunités et nous permettre de compléter notre collection de balises.
Après s’être copieusement restaurés, c’est sous les encouragements de nos fans que nous repartons en affrontant une longue descente.
Merci Sandrine, Théo, Karine et Michel de votre patience et de vos acclamations. (Désolé ma chérie, de ne pas avoir répondu, l’écho a sûrement tout importé)
Nous traversons l’une des rares routes bituminées de la journée, dernier lien avec la civilisation avant longtemps.
Face à nous, 6 à 7 km à vol d’oiseau, de rocs et de pierres avant de retrouver les bords de l’Hérault. Les nuages sont bas et s’accrochent déjà au relief. Dans quelques minutes la nuit sera tombée. Il est à peine 20 heures.
Le mot d’ordre est FONCER !! nous préférons désormais les sentiers plus larges pour courir encore et toujours. Nous galopons en ignorant les balises. C’est maintenant une course contre la montre pour ne pas être éliminés.
Dans notre cavalcade, nous cumulons deux erreurs de navigation consécutives et nous coûtent de précieuses minutes. Le temps de rebrousser chemin, la nuit est tombée. Nos frontales brillent. La pluie nous mouille à nouveau, et submerge notre envie d’aller plus loin. L’humidité a vidé nos téléphones (plus de batterie). Nous voilà seuls, au milieu de nulle part. La prudence nous invite à l’abandon.
Après quelques réflexions, la raison l’emportera, et nous décidons de retourner sur la route goudronnée pour y chercher un abri, de l’aide et tenter d’avertir nos proches et l’organisateur de notre arrêt.
Nous hésitons sur la direction à prendre, vers où peut-on se diriger pour trouver une âme ?
C’est alors que le hasard nous mettra sur le trajet d’une bande de VTTistes, eux aussi surpris par cette averse. Ils effectuent une liaison entre Mende et Sète en deux jours et ont eu la précaution de réserver un gîte pour la nuit. Ils nous y invitent spontanément et nous prêtent de quoi téléphoner.
(Merci de votre aide et votre hospitalité, je n’en dirai pas autant sur le propriétaire du gîte).
Nous sommes maintenant au chaud devant un feu de cheminée qui crépite, perdus dans nos pensées, balancés entre déception et raison.
La pluie est venue gâcher notre plaisir et installer une lassitude sur une course hors-norme qui se suffisait en difficultés. Notre aventure s’achève donc prématurément après 17 heures, 11 minutes, 46 balises, 72 km, 2800 mètres de dénivelé (C’est Jean-Philippe que le dit)
Sur le chemin qui nous mène au campement, abrité dans un véhicule, nous croisons les derniers courageux toujours en course sous des trombes d’eau. Les conditions climatiques sont effrayantes et augmentent malheureusement le taux d’abandon.
Il est évident que nous n’aurions jamais pu atteindre le PC3 dans les délais. Sans un mot, nous allons nous coucher, convaincus ou presque, que nous avons pris la bonne décision.
La nuit fût réparatrice, un soleil timide nous accueille au petit-déjeuner. L’ambiance est paisible et conviviale autour de ce repas partagé avec les organisateurs. Tous sont conscients d’avoir vécu la veille, un moment privilégié (finisher ou non).
Je sais déjà que ces courses et cette atmosphère vont me manquer. J’aurai aimé pour cette dernière, connaître une fin plus « triomphante », mais peut-être est-ce pour mieux revenir sur la prochaine édition de 2012 ?
Epilogue.
Merci Jean-Philippe de toutes ces aventures partagées. J’aime à me rappeler notre premier raid dans l’Aisne, où je te suivais sans trop comprendre dans quoi j’avais mis le doigt. Nous avons vécu durant toutes ces années, des moments forts tels que le sport est capable de les offrir. Une amitié est naît, c’est certainement la plus belle conclusion.
Et puis, nous le savons que trop bien, Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, j’ai déjà des projets en tête qu’il faudra sûrement un jour réaliser. Mais chut !! gardons le secret, Théo ne va pas être d’accord.
Merci à ma chérie de m’avoir suivi dans ces délires, et de m’avoir permis de vivre pleinement ces péripéties. Nous allons faire une pause de ces courses toujours plus longues, toujours plus folles. Nous allons tenter de nous rapprocher un peu plus des dunes d’espoir, pour courir sur des distances plus courtes mais toutes aussi intenses en émotion et en partage.
Merci de votre lecture.
PS
A lire aussi : la version de Michel
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