Un éclair de cinéma
Quand on est gamin, on est souvent très fier du métier de nos parents, qu’il soient routier, secrétaire, commerçant, cuisinier ou médecin, leur profession nous paraît toujours de la plus haute importance !
Je n’ai pas échappé à la règle, Maman était comptable, et Papa travaillait dans le cinéma...
Même si j’adorais accompagner Maman à son bureau situé au bout de la rue, tamponner les documents ou faire des photocopies de factures, il faut bien avouer que la profession de Papa me faisait évidemment un peu plus rêver.
Il était technicien commercial aux laboratoires Eclair, en résumé, il vendait et réparait les caméras pour les grands noms du cinéma, tels que Lelouch ou Lautner...
Lorsqu’il il rentrait le soir après le boulot, il avait toujours dix mille choses à nous raconter ; une caméra tombée en panne sur un tournage d’un James Bond, ses rencontres avec des personnalités hors du commun ; un jour il buvait un café avec Bourvil, le lendemain il serrait la main à Belmondo, puis il croisait Delon ou Romy Schneider...
Cet univers me faisait rêver, il évoquait les paillettes, les stars, les caméras, les réalisateurs de renom, il m’avait dit que, plus grande, il m’emmènerait découvrir ce monde du 7e art.
J’attendais donc avec une impatience non dissimulée ce grand jour qui arriverait forcément, Papa me l’avait promis !
J’ai 13 ans, Papa décide que j’ai le sérieux et la patience nécessaire pour assister au tournage d’un film.
Avril 1981, ce sont les vacances de Pâques et ma première incursion dans ce monde à part sera le tournage de « Garde à vue ».
Je ne sais alors pas du tout ce qui m’attend, ni les acteurs, ni le réalisateur, je suis juste excitée !
Nous pénétrons dans l’enceinte des studios Eclair situés à Epinay sur Seine, la Mecque du cinéma de l’époque, de nombreux films y ont été tournés, je suis déjà impressionnée.
Papa salue ses collègues, me présente à eux, et j’ai droit à mon badge comme une grande, pour circuler dans les studios.
Il est alors temps d’aller sur le tournage du film.
Une petite lumière verte au dessus de la porte indique que nous pouvons encore entrer, ensuite ce sera « Moteur, on tourne » et lumière rouge....
Le silence ambiant est incroyable, un peu comme lorsque l’on entre dans une église.
Les pas sont feutrés, l’ambiance tamisée.
Papa me fait découvrir le décor, tout en carton plâtre, la reconstitution parfaite d’un commissariat de province, lumière blafarde, enseignes qui clignotent, un bureau, des chaises... Ce sera donc un film policier.
Des techniciens s’affairent autour des dernières préparations, des câbles à ranger, des lumières à diriger.
J’observe tout cela avec mon regard d’enfant, je ne parle plus, je regarde !
Puis, comme dans un rêve éveillé, Papa me montre un homme assis sur une chaise, lunettes sur le bout du nez, il lit une dernière fois les dialogues du scénario.
Un monstre du cinéma est à quelques mètres de moi : Lino Ventura !
Je n’ose plus bouger.
Papa dans son élément, me prend par le bras et m’emmène vers ce grand acteur, je refuse, il ne faut pas le déranger !
C’est trop tard, Lino Ventura a levé les yeux vers nous et sourit.
Je crois que je vais m’évanouir.
Il nous fait signe de venir le voir, mes jambes tremblent, je me retrouve face à cet homme pourtant comme les autres !
Il se lève, il me paraît immense, serre ma main, puis celle de mon père.
Comme si tout était normal, nous entamons une conversation, enfin...surtout Papa et Lino, car je suis dans un état second, proche de l’hébétement, et lorsque ce dernier me pose des questions, à savoir mon prénom, mon âge, si je suis en vacances, je me revois bafouiller en regardant mes chaussures « je m’appelle Sandrine, j’ai 13 ans... ».
Je réponds à ce grand Lino avec toute ma timidité d’enfant.
Il me demande si je veux un autographe, ou une photo dédicacée si j’en ai une, et je réponds..."Non merci Monsieur !!"...
Vous y croyez vous ???
Ce serait maintenant, il y aurait eu photo avec le portable, dédicace sur un bout de papier, et à la une sur mon mur Facebook...
Mais nous sommes en 1981.
Et Lino Ventura est une immense star, adorable, souriant, paternel, mais une star quand même !
Ce souvenir est encore intact, je revois chaque détail de la scène, comme dans un film.
D’ailleurs, ne perdons pas le fil, la première scène va démarrer.
Lino nous dit « à plus tard », il se dirige tranquillement vers la pièce qui fait office de bureau de police.
Silence. Moteur. On tourne.
Nous découvrons alors Claude Miller le réalisateur, Michel Serrault et Guy Marchand qui sont les autres acteurs de cette matinée.
Que du beau monde !!
La scène démarre, les dialogues de Audiard sont joués à la perfection, pourtant, des « coupez » interrompent régulièrement le jeu de ces acteurs sublimes.
Je suis fascinée par ce que je vois, la matinée est consacrée à la même scène, jusqu’à ce que Miller soit satisfait. Je connais par cœur les dialogues de cette scène répétés à l’infini !
Je regarde les cadreurs, la scripte qui note chaque détail, les ingénieurs de la lumière et du son, il y a un monde fou autour des comédiens.
Je pose mille questions à mon père puisque tel est son métier !
La pause de midi arrive, je n’ai pas vu le temps passer dans cette bulle hors du temps, entourée d’acteurs célèbres.
Nous nous dirigeons avec toute l’équipe vers « le spot », la cantine des studios, c’est étrange de marcher derrière Serrault et Ventura, et c’est encore plus étrange lorsque l’on prend place à la grande tablée de toute l’équipe de tournage.
Le hasard me donne Guy Marchand comme voisin de table, j’ai Lino en ligne de mire, Monsieur Serrault m’impressionne tout autant que Ventura, mais je n’en reviens pas de cette chance inouïe.
Je me rappelle encore du menu, c’est pour dire : jamais les carottes râpées ne m’ont paru aussi succulentes !
Les blagues fusent, les verres se vident, Guy Marchand me passe le pain, l’ambiance est bon enfant, et moi je ne dis mot, j’emmagasine des souvenirs pour le reste de ma vie !
L’après-midi est ensuite consacrée à une autre scène du film qui me captive tout autant.
Je ne rate rien, tout me plaît, mais c’est décidé, plus tard, je serai scripte.
Quelques mois plus tard, nous sommes passés de l’autre côté de l’écran, "Garde à vue" sort au cinéma, et je découvre ce film, ainsi que les deux scènes auxquelles j’ai assisté pour de vrai !!
Lino est devenu mon idole, et je rêve de cinéma.
Je vous raconterai plus tard, une autre facette de ce monde que mon père m’a fait découvrir...
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