Mon arrière grand-père ce héros…1914
A 40 ans, Auguste vit à Chartres, dans une simple maisonnée, dominée par l’imposante cathédrale, à deux pas des bords de l’Eure. Entouré et aimé de sa femme Charlotte et de ses deux fils Martial, 12 ans, et Robert, 4 ans, le temps s’écoule presque paisiblement. Très occupé par son métier de menuisier qu’il apprécie énormément, il passe de longues heures dans son atelier à travailler le bois avec soin et minutie.
La petite famille passe des journées simples mais heureuses, comme bon nombre de familles modestes en cette époque.
28 juin 1914
Les premières éditions matinales des journaux annoncent l’assassinat de François Ferdinand à Sarajevo
Début Juillet 1914
La Grande Bretagne ne veut pas la guerre et est prête à une médiation sauf si la Belgique est envahie. Or, le plan Schlieffen de l’Allemagne prévoit d’y passer. La Russie prône la fermeté. La France suivra. C’est le début de l’engrenage.
Une mobilisation partielle démarre en France près des frontières
28 juillet 1914
L’Autriche déclare la guerre à la Serbie et bombarde Belgrade.
1er août 1914
A 4 heures de l’après-midi, tous les clochers de France font entendre un sinistre tocsin. Les cloches de la cathédrale de Chartres résonnent à leur tour jusque dans les champs lointains.
L’ordre de mobilisation générale est donné.
Si quelques-uns se laissent prendre à la liesse nationaliste, il n’en va pas de même pour une grande majorité des appelés. La plupart partent avec sérieux et détermination, sans manifestation de joie démesurée et surtout inopportune.
Auguste n’est pas heureux de cette déclaration, il lui faut quitter sa douce femme, ses chers enfants si petits, il espère secrètement que cette guerre va être éclair et de courte durée.
3 août
L’Allemagne déclare la guerre à la France.
Le 1er août, comme tout Français, Auguste reçoit son ordre de mobilisation, il sait ce que cela veut dire. il connaît bien l’armée Française, puisqu’il a un parcours militaire typique de cette période :
Classe 1894, il a effectué son service militaire de 3 ans de 1895 jusqu’en 1898 au 18e Régiment de Dragons à Melun, avec attribution d’un certificat de bonne conduite. Il a pour l’époque un niveau d’études correct, il sait lire et écrire, ne sait pas nager, mais a démarré l’escrime.
Ces détails sont inscrits précieusement dans son carnet militaire.
Affecté successivement après son service dans le 18e régiment de dragons durant 3 ans, puis dans la réserve du 13e régiment de cuirassiers, puis dans le 31e Régiment d’artillerie, il est mobilisé dans le 13e régiment d’artillerie de campagne en groupe territorial.
En territorial, car il fait partie de ces appelés « plus » âgés et pères de famille, et en artillerie, car il est un cavalier émérite et expérimenté. Ce régiment d’artillerie de campagne fait partie de ces régiments « montés », donc à cheval nuit et jour pour tracter les canons de 75 et de 120, ainsi que les stocks de munitions.
Auguste aura donc la lourde tâche avec les soldats de son régiment d’assurer soit des fonctions d’appoint en deuxième ligne, soit d’assurer les compléments d’hommes, de chevaux, de matériels. Il faudra également maintenir une logistique et la remise en état des lieux de combats pilonnés mais non perdus, ou bien encore veiller au bon état des lieux de circulation des groupes classiques de RAC.
La vie est parfois cruelle et injuste. Tandis que la guerre vient de se déclarer, et que Auguste est mobilisé, une tragédie frappe la famille, le petit Robert décède subitement, et Auguste a l’autorisation exceptionnelle de rejoindre ses foyers durant 15 jours.
Il est évidemment rappelé début septembre laissant son épouse avec son immense chagrin et leur petit Martial. Le retour dans son régiment est forcément très difficile, mais les armées sont sur le pied de guerre et quasi au complet, et on ne l’autorise pas à s’épancher sur son chagrin de père en deuil.
Auguste est alors affecté à Val-Plant de Champigny sur Marne, lieu de rassemblements et de départs de soldats et d’unités vers les lieux des combats déjà engagés.
La gare de Val-Pant est une des gares, voire la principale dès le mois de septembre 1914 pour rejoindre le front vers la Meuse, Verdun et l’Allemagne, et cela dès le début des hostilités en Champagne et Argonne …
Les trains bondés éjectent leurs flots de soldats en terre de l’Est, Auguste débarque lui aussi en terre inconnue, ne voyageant jamais, il s’éloigne rarement des plaines Beauceronnes.
Entre août et septembre 1914, dès les premiers jours, cette guerre fait des ravages, le ton est donné, les canons font parler la poudre, et certains villages partent déjà en fumée devant des paysans hébétés !
Les hommes s’épuisent trop vite, les chevaux aussi, les conditions sont insupportables, la canicule de cette fin d’été, le manque de confort et de sommeil, les carences en nourriture et eau potable font des dégâts importants parmi les troupes. Il y a heureusement quelquefois des habitants des environs qui viennent donner des victuailles, du vin ou de la bière, et cela réchauffe les cœurs des pauvres soldats.
Auguste est éreinté, mais il se bat comme un guerrier, comme tous ces hommes engagés dans cette bataille infernale, pour tenir, il pense à Charlotte, à Martial, à l’odeur du bois dans son atelier, aux fleurs coupées de son jardin, le bonheur paraît si loin et le retour à la réalité encore plus dur !
La route est souvent jalonnée de cadavres humains ou animaux, l’odeur est insupportable, cette odeur de mort qui flotte dans cet air impur ne les quitte pas.
Des fermes brûlent encore, il ne reste plus rien, même les moissons sont réduites en cendres par l’ennemi Allemand devant des pauvres paysans complètement abattus.
Le quotidien est ponctué de tirs massifs, de bombardements, d’obus, de ripostes, d’explosions qui abîment les tympans !
L’artillerie allemande se révèle terrible, brutale, et très précise. Il leur faut gagner de vitesse les Français, forcer au recul de nos troupes à peine en route et détruire tout : terres et gens, fermes et manoirs, villes et villages
Quand l’artillerie ennemie se tait, elle ne dort jamais.
Pour tout arranger, la pluie s’est invitée à l’horreur, et ajoute une autre dimension à cet enfer déjà bien entamé, les pieds pataugent dans une boue collante, les canons s’enlisent, les chevaux fatiguent, certains tombent même morts d’épuisement.
Les semaines passent dans un rythme hors du temps, hors de l’imaginable, les soldats donnent tout ce qu’ils peuvent, se battent, avancent, puis reculent, puis avancent encore…Ils ont faim, soif, sont malades, blessés, mourants, mais ne lâchent rien !
Leur devise :
« S’ensevelir sous les ruines plutôt que de se rendre » ou « On ne passe pas ».
La peur de mourir est présente à chaque instant, les bruits assourdissants des explosions, les sifflements des balles n’annoncent jamais le meilleur, et le destin se charge de faire le reste. Être au bon endroit au bon moment, jamais l’inverse…
Certains échappent de peu à la mort, d’autres pas, ils sont souvent très jeunes, ont des visages de gamins, et échappent déjà à la vie. (Les statistiques démontreront une moyenne d’âge de 27 ans pour les morts de cette guerre).
Auguste est toujours vivant et il prie le ciel pour que cela dure encore.
Le 13e RAC arrive à Vauquois.
La bataille se fait rude, mais à partir de fin septembre, une vie nouvelle va commencer pour le régiment : la guerre de mouvement a pris fin, les Allemands se tiennent satisfaits d’occuper le front de Boureuilles, Vauquois, Buanthe. la possession du piton de Vauquois leur donne des vues sur toute la vallée de l’Aire, et qui est, avec Montfaucon, un des points les plus importants de la région.
La période est alors plus calme, et permet aux troupes de se reposer enfin un peu, et de se ressourcer. Parfois même, aucun coup de canon n’est tiré de la journée.
Les positions s’organisent, on creuse des abris, on ouvre des boyaux.
Le 28 octobre, des attaques sur Vauquois démarrent, les tirs nourris reprennent, la courte trêve est bel et bien terminée !
S’ensuit la bataille d’Argonne qui va durer de novembre 1914 à janvier 1915. et qui va rester une page glorieuse de son histoire…
Mais la vie y est rude, l’état d’alerte permanent, et l’hiver s’est installé avec ses températures glaciales. Le premier hiver de cette guerre qui paraît partie pour durer.
Les feux sont interdits de jour pour ne pas éveiller l’ennemi, et la nuit se fait attendre pour enfin se réchauffer. Les conditions de vie sont devenues si difficiles !
Les hommes sont dans un état d’angoisse perpétuel, il leur faut toujours courir, par crainte de prendre une balle, même si l’artillerie Allemande n’est alors pas encore à son apogée.
Les heures sont parfois interminables, et l’ennui apporte aux troupes tristesse et mélancolie…
Seule la beauté des paysages et des sapins enneigés amène un peu de gaîté à ces hommes fourbus.
Auguste n’oublie pas son métier de menuisier dans cette forêt aux milliers d’arbres immenses. Dès qu’il le peut, pour s’évader un peu, il prend des morceaux de bois, les taille, les sculpte, il apprend également à ses partenaires d’infortune à fabriquer des petits objets, ou même des jouets pour leurs enfants qui leur manquent tant en cette période de Noël.
Un Noël particulier dans la neige et la boue mélangées, dans ce froid trop vif et surtout si loin de chez eux, ils rêvent tous de retrouver leur famille près d’un feu de cheminée qui crépiterait dans l’âtre de la maison. Ils sont dans l’enfer et rêvent au paradis perdu.
L’artillerie devient plus active de chaque côté du front. Les batteries dont le ravitaillement se fait de plus en plus abondant, exécutent des tirs jour et nuit. Les Allemands souffrent beaucoup de ces tirs nourris, et les pertes sont nombreuses.
Mais début janvier, l’attaque de l’ennemi se développe de façon inquiétante, ils retournent nos tranchées à coups d’obus et de mines, les attaques et contre-attaques se succèdent.
En février débute l’attaque terrible de Vauquois, qui va durer des mois, et même des années
La butte de Vauquois devient un terrible champs de bataille. Il est bien loin le temps des verts pâturages et du charmant village de campagne, tout n’est devenu que cratères fumants, et cimetière à ciel ouvert. Des corps jonchent le sol, les abris sont endommagés, les lignes de communication coupées. Même les chevaux paient un lourd tribut, certains s’effondrent de fatigue, d’autres blessés sont abattus, ils vont être ainsi des milliers à être sacrifiés.
Les conditions de vie des soldats sont épouvantables, l’hygiène devient un luxe rare, les valeureux sont parfois 15 jours sans se laver, et les rats deviennent leurs compagnons indésirables. Ils ne savent plus ce qu’est le sommeil, ni un repas chaud complet.
Les maladies infectieuses, les diarrhées, les blessures de toutes sortes, s’ajoutent au désarroi et à la peur, le mental des troupes s’épuise.
La guerre des tranchées s’établit, l’artillerie de campagne se transforme en artillerie de siège, les hommes du 13e renoncent aux espoirs de marche en avant et de batailles libératrices.
Auguste se demande combien de temps cela va-t-il durer encore ! Il espère que ce cauchemar sans fin se termine un jour, que cette folie des hommes cesse pour de bon. Mais la réalité est toute autre, il ne le sait que trop bien.
Le printemps 1915 est là, mais aucune fleur ne pousse sur cette terre de désolation.
Les actes de bravoure ne se comptent plus, chez ces hommes dont la plupart sont maintenant des vétérans. Aux observatoires, sur les routes du ravitaillement, dans l’implacable boue de l’Argonne, les artilleurs de Vauquois, souffrent en silence, et savent mourir sans connaître l’ivresse de grandes batailles.
Ils savent mourir…
Et Auguste va le savoir à son tour.
7 avril 1915
A force de manques et de carences, par manque d’hygiène, à cause d’un organisme fatigué, d’une blessure mal soignée, Auguste tombe malade, il respire avec difficulté, se sent faible.
La tuberculose s’est emparée de lui comme tant d’autres soldats, sournoise, elle chemine rapidement dans son corps épuisé…
Il n’a que 41 ans mais il est tel un vieillard, ses poumons le brûlent, il n’a plus la force de se battre, ne peut plus combattre auprès des siens.
Les autorités militaires ne veulent plus de lui, ni sur l’avant, ni sur l’arrière du front, contagieux,affaibli, « inutile » au combat, Auguste est rapatrié, il quitte ces terres meurtries de l’Est pour rejoindre l’hôpital de Champigny sur Marne.
Juin 1915
Les infirmières débordées passent de lit en lit, tentent de réconforter et de soigner ces centaines de soldats, tous revenus de l’enfer.
Auguste n’a plus aucune force, sauf pour penser, alors il pense à son fils Martial, à sa femme Charlotte, il veut lutter, rêve de retrouver sa petite maison sur les bords de l’Eure…
Il voudrait se battre une dernière fois, rien que pour vivre, revoir les siens, constater à quel point Martial a grandi, qu’il est devenu un homme durant ces mois d’absence.
Mais la maladie est plus forte que lui, bien trop forte.
Auguste ferme les yeux doucement, l’été commence seulement, nous sommes le 23 juin 1915.
Auguste vient de mourir pour la France. Il était mon arrière grand-père.
Son nom figurera pour toujours sur les monuments aux morts de Chartres et de Champigny sur Marne.
Epilogue : Je ne pensais pas qu’une visite à Verdun provoquerait en moi une telle envie de rendre hommage à mon arrière grand-père, de chercher des pistes, de trouver des indices sur sa trace, son parcours.
J’ai aimé marcher dans ses pas, découvrir toute cette page d’histoire si cruelle de notre humanité. Nous avons rencontré ou échangé avec de vrais passionnés ; qui m’ont permis de me passionner à mon tour.
J’espère que ce récit permettra à ma famille, ma maman, mes tantes Claudette et Babeth, mes cousines Isabelle et Aurore, et surtout mon fils Kévin, afin qu’il découvre cet épisode de la vie de son arrière arrière grand-père.
Je tiens à remercier infiniment :
Domi qui a insisté pour que nous visitions Verdun en ces périodes de commémoration
Bénédicte, charmante propriétaire des chambres d’hôtes de la « ferme des longues raies » à Dugny, pour nous avoir orientés vers des sites très intéressants.
Les bénévoles passionnés qui entretiennent avec beaucoup de coeur les différents forts ou sites de l’histoire de cette guerre, (la Falouse, Vauquois, etc)
Bruno pour toute son aide, sa patience, et sa connaissance incroyable sur l’armée, la guerre. J’aime l’idée que son grand-père et mon arrière grand-père aient pu se croiser un jour pendant ces combats contre l’ennemi.
Maman pour le prêt des précieux documents familiaux
Sandra et Lucie pour les photos du monument de Chartres
Le site des Chtimistes
Le site GALLICA BNF où j’ai pu trouver le journal de marche du 13e RAC
Loïc pour ses renseignements sur les archives
Le service des archives médicales hospitalières des armées de Limoges
Merci pour ce bel hommage à votre arrière-grand-père. J’ai été émue par le récit de votre périple à la recherche des traces ténues qu’il a laissées, et que voilà perpétuées grâce à vous.
Émouvant, riche, intéressant… merci Sandrine d’avoir trouvé les mots pour partager avec talent cette page d’Histoire de France et de famille.
Bonjour Sandrine, bel article toujours aussi fort, on sent que ça vous tenait à coeur !
Contente de vous avoir menée hors des tranchées battues afin de marcher dans les pas de votre arrière grand-père Auguste.Selon moi, la meilleure façon de comprendre cette guerre, c’est d’aller sur le terrain.
C’est la nature qui en parle le mieux.
Au plaisir, bien amicalement, Bénédicte
Madame , mon grand père se bâtit à Dixmuide au Boyau de la Mort .
Je pense donc à lui , à eux , à vous , à cette somme de souffrances et de douleurs incalculables.
Même l’ imagination ne peut mettre en images les calvaires endurés .
Croyez en ma sympathie la plus cordiale .
Quel beau récit ma Sandrine, que du pur bonheur de te lire à chaque article écrit. Merci de m’avoir fait découvrir ce beau texte – mon grand père a eu une jambe coupée à cette affreuse guerre, mais il n’a jamais voulu en parler même quand nous lui posions des questions, tellement ce qu’il a du vivre était douloureux nous avons toujours respecté son silence bisous ma belle
Votre récit m’a beaucoup ému. Mes grand-pères et grand-oncles ont souffert le même enfer. Bien cordialement.