Mes premiers 6 heures
Les gorguillons, habitants de La Gorgue, petite commune de 5000 habitants située à mi-chemin entre Lille et Arras, ont eu la bonne idée d’organiser en levée de rideau d’un match de rugby France-Angleterre qui sent la poudre, un 6 heures de course à pied. Le froid hivernal inviterait plutôt à s’enfermer dans un pub surchauffé à la bière en attendant le coup d’envoi.
Mais ils eurent aussi la bonne idée de convier le soleil pour ce dimanche 12 mars.
C’est un beau soleil bas d’hiver qui ne réchauffe pas vraiment mais qui illumine la région et qui contraste avec les jours précédents où le froid, la pluie, le vent et même la neige avait rendu la région un peu tristounette. Certains nous affirmeront que c’est La journée exceptionnelle de ces 100 dernières années. (un sudiste vraisemblablement)
La veille à quelques kilomètres de La Gorgue, la fête foraine de Béthune bat son plein et malgré un froid glacial qui balaye la place et la neige qui tombent par moment, les ch’tis sont de sortie. Je crois qu’il n’y a que dans le nord pour organiser de telles manifestations en plein hiver et ces conditions climatiques nous inquiètent quelque peu.
Alors ce dimanche matin, lorsque nous arrivons à La Gorgue, nous sommes ravis de ce soleil. Le premier doute est levé.
J’avais déjà programmé cette course l’an dernier lors de ma préparation pour les 100 kilomètres de Belvès, mais une blessure m’avait empêché de courir. Cette année je viens donc avec les mêmes attentes, les mêmes objectifs, se tester en grandeur nature sans toute fois gaspiller de force inutile. Je vais donc chercher à être le plus régulier possible sur une allure spécifique que j’ai défini (10km/h) et programmer des arrêts au stand tous les 3 tours (une configuration semblable à celle que je vais rencontrer en Dordogne).
Le principe de la course horaire est des plus simples : regrouper une centaine de coureurs, marcheurs ou les deux sur un circuit de 1491,36 mètres. Donner le départ à 10 heures et arrêter la course 6 heures plus tard. Entre temps, vous prenez le temps de comptabiliser les tours effectués par les différents concurrents et le tour est joué. Rien de plus simple pour l’organisateur (ou presque).
Pour le coureur, la répétition des boucles reste la grosse énigme et inquiétude, et suscite quelques interrogations . Comment vais-je faire pour parcourir si tout va bien 38 fois la même boucle ? Comment vais je faire pour casser cette monotonie, qui sans aucun doute va m’envahir ? Comment vais-je faire pour me convaincre que je dois faire encore un tour ? puis un suivant ? alors que j’en ai marre de ce même paysage !! .
J’ai donc abordé cette course en ne dégageant que les points positifs, ce n’est qu’une répétition à une allure tranquille (une sortie longue originale), je ne serai pas seul, et je peux gérer comme je le souhaite ces 6 heures, me reposer, marcher, courir, dormir, il n’y a pas de point final à atteindre donc pas de contrainte. Je peux même décider d’arrêter, mes tours seront comptabilisés et je serai dans le classement.
J’avoue ne m’être pas trop inquiété mais je préfère être prudent, ne sachant pas grand chose sur ce type de course. J’ai choisi de me fixer 47 km en 5 heures. J’aurai certainement enregistré suffisamment d’enseignements et la dernière heure ne sera que du bonus.
Cette sortie, certes plutôt longue mais programmée dans ma préparation, va donc me permettre de vérifier ma vitesse spécifique 100 km. A chaque tour je vais pouvoir la vérifier facilement et la contrôler (ou presque). Je vais organiser mes propres ravitaillements tous les 3 tours pendant 3 heures puis tous les 2 tours jusqu’à la fin de la course, comme le permettrait un suiveur sur les courses longues .
Mon équipement sera le même que pour le 100km, un baladeur MP3 que je brancherai en cas d’urgence lorsque la monotonie sera présente.
Voilà, c’est aussi simple que cela. Il ne reste plus qu’à prendre le départ et d’être étonné par ce qui va se produire.
Le premier tour permet de découvrir le circuit
Un ½ tour de la piste d’athlétisme, la traversée du gymnase pour le pointage des tours.
c’est le principal lieu de vie de la course, d’un côté la table de marquage (les marcheurs à gauche, les coureurs à droite), à la sortie ,les équipes relais qui attendent le témoin, impatientes , excitées, …
A chaque tour, cet endroit sera aussi une grosse bouffée de chaleur, celle qui tranche avec la température extérieure, mais celle aussi des supporters où leurs acclamations, leurs sourires font du bien et vous persuadent à chaque tour de continuer (même si je ne me suis jamais posé cette question).
On ressort de ce gymnase réchauffé, gonflé à bloc pour emprunter un long trottoir, on franchit sans encombre un secteur en travaux, on longe le cimetière (visible pendant quelques mètres), puis on emprunte une petite voie tranquille desservant une zone pavillonnaire. Au fil des tours les coureurs vont s’approprier cette rue tranquille. Les premiers tours se font à la corde le plus à droite possible (économie de la distance), puis une fois le rythme de chacun trouvé, toute la largeur sera occupée, laissant place à la discussion entre coureurs. Ce petit chemin emprunté 36 fois fût un vrai petit bonheur, et puis retour à la piste. Rien de folichon dans ce parcours et pourtant la magie va s’opérer au fil des tours.
100 participants sur une boucle de 1500 mètres, vous comprenez rapidement que vous ne serez jamais seul.
Ma course va se rythmer très vite au gré des autres acteurs. Le mécanisme se met en route. Les relayeurs passent régulièrement à un rythme effréné, suivi des champions en chasse d’une place sur le podium ou en quête d’un exploit.
Reste encore les coureurs que vous ne rattrapez jamais, la même allure et la même distance qui vous en séparent et ceux que vous doublez parfois au profit d’une pause. Rien ne semble pouvoir arrêter cette horloge, cet équilibre.
Chaque dépassement est l’occasion d’échanger quelques encouragements, impressions, …et vous conforte dans l’idée de participer à une course originale.
Déjà 2 heures de course et je me surprends à découvrir encore des détails du parcours où il se passe toujours quelque chose. Un monsieur qui bricole le portillon de son jardin, sa femme qui l’appellera un peu plus tard pour le déjeuner, les enfants qui profitent du soleil pour ressortir les ballons de foot (nous sommes proches de Lille et Lens les clubs phares de la région en matière de football et pourtant pas un maillot rouge ou sang et or. Le Barça, et l’OM sont en bonne place, et le RC Lens n’apparaît qu’une fois accroché discrètement au rétroviseur d’une voiture.)
Je me régale de toutes ces tranches de vie, et je suis surpris de franchir le marathon en 4h15. Je suis trop vite beaucoup trop vite. Je me suis laissé distraire par la course.
« Allez Le N°12 encore une 1h30 », c’est un jeu instauré depuis quelques tours avec les enfants du quartier. « A toute à l’heure ».
Mes 47 kilomètres sont atteints, bien avant les 5 heures programmées. Je décide donc d’arrêter l’expérience sur cette excellente impression.
Je vais attendre Sandrine et l’encourager à terminer ces 6 heures de la meilleure des façons. Atteindre la distance symbolique du marathon.
J’enfile une polaire fine, le soleil est moins haut et le froid omniprésent. Je la rejoins (ou plutôt je l’attends au chaud).
C’est une seconde aventure qui commence, où il nous reste 1 heure pour faire un peu moins de 7 kilomètres.
En instaurant 1/3 de marche, 2/3 de course soit un tour en quelques 12 minutes, elle devrait tranquillement atteindre la distance.
5h50 le 28ème tour est franchi, synonyme de marathon et d’être gratifié d’un superbe sourire.
Les 10 dernières minutes ne sont que du bonheur, histoire de saluer une dernière fois les enfants et de savourer sa performance. Je n’en suis pas surpris, ni par son état de forme. Elle a superbement maitrisé cette course.
Voilà, j’ai laissé la porte des 6 heures entrouverte avec un 53,985 km qui m’invitent à revenir avec d’autres ambitions et le désir de savourer autant une épreuve.
Domi_conquis_par_ses_premières_6heures.
France 31 – Angleterre 6
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